L'EAU !
vendredi 19 août 2022
samedi 6 août 2022
Chez les Ait Hdiddou
Mohamed.Slak
5- Cosmogonie
paysanne
et imaginaire de quelques rituels agraires
5-1-
L'augure des plantes entre le bien et le mal !
Certaines de ces activités, il faut bien le mentionner, ne manquent pas à travers leur cours de quelques rites et coutumes, qui affectent même la nomination de quelques uns des mois du calendrier agraire local tel: Bouwgdoud (le mois septembre d'Agdoud), et Boulaansart (le mois juin), vers la fin duquel on brûle un mélange de différentes espèces de plantes devenues enfin sèches, pour fêter la bonne poussée d'herbe et de plantes de l'année, en espérant toutefois, une meilleure verdure, une bonne et fructueuse récolte, prochainement, et pour chasser aussi, de l'environnement les mauvaises créatures et esprits maléfiques, capables de stériliser la terre et le sol. Aussi ne doit on pas encore distinguer entre deux types de plantes dans l'esprit du paysan: les bonnes plantes à usage médicinal et d'importance vitale au niveau nutritif, dont les paysans aiment garder à sec quelques meilleurs échantillons de l'année, en guise de beaux souvenirs, d'une bonne récolte et saison agricole, et qu'ils peuvent garder et cacher dans un coffret, ou accrocher, pour embellir et décorer le mur de l'une de leurs chambres préférés, comme un bouquet de meilleurs épis de blé par exemple, ou quelques épis de mais. Ce que j’ai eu l’occasion et la coïncidence même de remarquer et de mentionner, dans l'un des écrits de la littérature Marocaine de langue Française, des contrées de l'Atlas, au sud du haut Atlas central, dans un domaine socioculturel, cette fois-ci oasien et présaharien, qui n'avait pas, artistiquement, manqué de décrire et d'en parler: il s’agit notamment d’un roman de Moha Laid intitulé: (le sacrifice des vaches noirs), où il disait: «(…) plus loin, Bassou avait remarqué de vastes champs de mais. Une femme très belle et bien habillée évoluait dans les vastes splendeurs de cette verdure. Il s'approche d'elle: c'était sa femme, celle-ci lui tendit un gigantesque épi de mais semblable à celui qu'il avait soigneusement caché dans le coffret, Bassou l'admira d'abord, et le mis dans le capuchon de son burnous. (…) » (8). Avant encore, dans une autre page, il disait:« (…) cet épi était le seul souvenir qui lui restait des années fastes et prospères. Quand il le comparait à celui qu'on vendait dans les Souks, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver à la fois un sentiment de fierté et de profond chagrin » (9).
Auprès
de ces plantes alimentaires très utiles, et de bon augure, existaient encore
celles qui sont parasitaires, et de mauvaise humeur. Celles dont les paysans se
méfient, soit parce qu'elles sont toxiques et empoisonnantes, ou les
considérant dans un tel imaginaires agraire, historiquement vécu et ancré,
comme nuisibles, porte malheur… et signe d'angoisse. Parce qu’elles détruisent
les bonnes plantes et ravagent la récolte, comme produits de nourriture et source
de la vie…
5-2- La saga de la
couleur indigo
Une découverte phobique dans le hameau de Tabrracht
C'est ce que nous avons rencontré
et remarqué, chez les habitants de Tabrracht, représentant un Hameau, de l'une
des deux fractions tribales, du canton des Ait Brahim à Ottarbat, auprès
desquels nous avons appris qu'ils peuvent teindre la laine de toutes les
couleurs faisant partie des rayures des mentes que portent leurs femmes, sauf
de la couleur indigo, qui reste en tout cas, une énigme et étonnante
exception…représentant pour eux, à la manière d'un tabou ou d'une phobie de
porte malheur, une barrière psychologique et sociale infranchissable, en tout
cas, sauf que par un coup de main, et une aide apportée par une intervention de
quelques femmes étrangères. La solution donc à ce problème, se trouve ailleurs,
et se résout hors de leur hameau et même de leur canton tribal. Ceci dit qu'il
sont obligé à chaque fois d'emporter leur laine avec eux, et se déplacer à
presque une trentaine de kilomètre pour se rendre au hameau d'Almghou chez les
habitants de la tribu dite: Iznaguen pour trouver quelques femmes chez ceux-ci,
pouvant leur teindre les fils de laine de la couleur indigo ou Tikhibcht comme
on l'appelle chez les Ait Hdiddou.
D’où
vient cette couleur donc? De quoi fait-on cette couleur de mauvais augure? Quel
rapport cela peut-il avoir avec l'activité agricole et son rendement comme
facteur décisif de la sécurité alimentaire et de la préservation de la vie
humaine? A vrais dire l'explication qu'on peut trouver à cela ne sort pas du
contexte agraire et de son grand imaginatif qui devait même être à la base
d'une cosmogonie paysanne locale.
Chimique
ou organique que soit le produit teinturier de cette couleur, rien ne lui
ressemble, et ne peut lui faire allusion dans la structure interne de
l'inconscient agraire, qu'une possible connotation entre la couleur indigo de
la fleur rouge du coquelicot, comme plante nuisible, ou de la nielle
comme plante de la famille des caryophyllacées, qui poussent comme des
parasites dans les champs, pour attaquer le blé de sa maladie, et celle des
teintes fabriquées de produits issus de la nielle elle-même, pour teindre les
fils de laine. D’où une métamorphose des plantes en produits à usage très
divers…et chose qui explique aussi dans les pratiques humaines, le chemin
sinueux et complexe du passage de la nature à la culture, à travers le
pont/médium que représente le vêtement/la mente dans notre cas ici. Si ce n'est
pas encore dans un autre plan d'immanence et de substitution, que toute la
question se dissout et se résout, en assistant cette fois-ci aux deux faces
d'un même objet, et d'une même étendue que peuvent représenter: un champ de
cultures et la pièce tissée de la mente. Tout l'enjeu est là, avec les
différentes couleurs et motifs de l'un et l'autre, leur géométrie plane à
l'image d'un tapis, leur fécondité, et la richesse symbolique de leurs
composantes. A savoir une coexistence dans les deux plans, de ce qui est bien
et désirable, et de ce qui est nuisible et indésirable, un monde de signes et
de symboles alors! Reflétant d'un coté, la dualité du bien et du mal, et de
l'autre, la trinité du végétal, animal, et de l'humain…rassemblée, réunie en
brassage, et inscrit dans le vêtement féminin qui est la cape, qui n'était à
priori, et au départ qu'une simple étoffe de laine, à l'image d'une page
blanche servant à l'écriture: une page vierge, fournie par un ovin, colorée par
une plante, habillée et portée par une femme.
A vrais
dire, la main qui se charge toujours de semer le blé dans les champs, en pleine
quiétude et espoir d'une récolte meilleure, en fin de chaque saison agricole, à
l'aide, à chaque fois, en plein champs,
d'une bonne prise de poignées régulières de grains, accompagnées de quelques
prières murmurées par le paysan, en guise de rituel garantissant l'espoir en
une saison agricole bien prospère, n'aura peu être jamais à toucher à aucun
signe de malheur et d'antidote du blé, que peut représenter la saga d'une
couleur indigo (Tikhibcht), faisant allusion à celle de quelques ennemis
du paysan parmi des plantes parasitaires et redoutables du blé, tel le
coquelicot ou la nielle, chose encore fort inadmissible, pour ce qui est de la
main droite et du pain sacré… donc si quelques fils de laine devaient être
teintés de l'indigo auprès des autres couleurs, pour entrer enfin dans le
tissage et la symbolique des couleurs d'une mente, que porterait ensuite une
femme de la tribu des Ait Brahim, cela ne doit être absolument fait et
accompli, que par une main étrangère se trouvant, hors de la tribu et loin de
son hameau…quand on a demandé à une femme âgée d'Iznaguen d'Almghou, au bord de
l'Acif Melloul, de nous expliquer pourquoi ces femmes, rares d'ailleurs dans le
hameau depuis toujours, de plus qu'il ne restait aujourd'hui même qu'une ou
deux, ont à elles seules cette exclusivité dans toute la région de teindre les
fils de laine, que ce soit de l'indigo: ( bette noire ) et élément phobique, ou
de toutes autres couleurs, la réponse était que celles-ci, sont généralement de
pauvres femmes très nécessiteuses et contraintes par la précarité de leur vie a
faire ce que les autres fuient… et n'aiment pas faire !, noircir la blancheur
de la laine, trahir son innocence de soie !?… une raison, peut être de plus,
d'attiser les malheurs, et tous les maux des mauvais esprits, pouvant se
traduire en une malédiction quelconque, car sinon, pourquoi a-t-on cette coutume
dans plusieurs régions du pays d'ailleurs, à enfiler un morceau de laine blanc
et propre, quelque part autour, d'un bien valeureux et cher, qu'on achète ou
qu'on vient d'acquérir? Cette coutume préventive, et ornementale par le biais
de la laine, qui se veut protectionniste, contre le mauvais œil, et les regards
jaloux des autres, ne se limite pas uniquement, aux animaux comme: une vache
enceinte ou son petit veau, nouvellement né, une jument ou son poulain, ni aux
humains: comme pour: une femme enceinte, ou son bébé, mais on peut remarquer
parfois que, même l'achat d'un morceau de « fer motorisé » comme: une
voiture ou un camion, est accompagné de ce rite, traduit par ce culte d'êtres
et d'objets, après lequel, ces êtres ne peuvent ni apparaître au public, ni
circuler librement en dehors de leurs foyers, et ces véhicules ne devant
commencer à rouler, qu'après l'inévitable, port en collier ou en doux bracelet,
de ce fil ou cette touffe de laine. Moyen magique, en tout cas, d'être à l'abri
de toute catastrophe… !
-5-3-Rituel de la Commémoration
annuelle d'Abadir
Sur le mont de Taltast à Tabrracht.
(Des offrandes et des excuses
pour les ancêtres)
Aussi devrait on citer encore la
commémoration annuelle d'un repas rituel appelé Abadir: (grand
pain arrondi à base de multiples céréales, d'environ un mètre de diamètre)
fêté d'une manière exclusive par les habitants du Hameau de Tabrracht comme
tradition spécifique qui leur revient. Quand on s'interroge, auprès des
habitants, sur la raison et les mobiles de ce rituel annuel? La réponse nous
vient tout de suite de certains
informateurs qui nous ont appris d'abord que ce rituel se pratiquait
avant, il y'a bien longtemps pendant le
10 Mars du calendrier agraire, c'est-à-dire le 23 Mars du calendrier Grégorien.
Ce qui coïncide avec l'annonce du début de la saison du printemps. Mais depuis
quelques temps indéterminés, la date de ce cérémonial a été déplacée pour le
fêter vers la fin du mois de Mai. Et puisque c'est au tour des restes de
quelques très anciennes tombes des ancêtres des habitants que doit se dérouler
le cérémonial, pour leur demander pardon et excuses, puisqu'on ne les respectait
pas chaque fois que leurs troupeaux qui paissent dans cette zone traversaient
cet endroit et piétinaient ces tombes de certains martyrs dont l'histoire
remontait plus loin dans le temps, aux premières années du Siba. Comment se
pratiquait donc ce rituel ?
Chaque
année, ces habitants commémorent cette extraordinaire et particulière tradition, relative essentiellement au
domaines agricole et pastoral, ou nous avons eu l'occasion d'assister à une
grande mobilisation de toutes les familles de l'Ighrem à l'exception de
quelques rares individus, de vieillards infirmes et de quelques malades
incapables d'escalader les versants de la montagne de Taltast pour
se rendre sur l'un de ces plateau qui abrite cette manifestation.
A pieds
et à dos de mulets, transportant des sacs de farines des trois principales
céréales, hommes, femmes et enfants suivirent du bon matin leur caravane
qui chemine vers les sommets du mont de Taltaste. Une fois sur le plateau de la
montagne, on commence à diviser le travail et à répartir les taches. On cherche
du bois et de l'herbe sèche, surtout les femmes et les enfants, tandisque des
hommes mettent la main à la pâte, on mélange de la farine sans levure pour
faire le grand pain des Ait Hdiddou appelé Abadir, à base du mélange des trois
céréales qui sont le blé, l'orge et le mais. Ce pain est très différent non
seulement dans sa forme, mais aussi dans le mode de sa préparation par rapport
aux deux autres types qui sont Ahttoch:« pain normal contenant des
extraits de certaines plantes médicinales cueillies dans les montagnes (…) et
Bahmmou: pain rond, son diamètre dépasse 15cm. Il est préparé enroulé, et enveloppant
une pierre à la forme ronde. Ce pain est également préparé sans levure » (10).
Chaque Abadir cuit doit être
déposé verticalement et penché sur un tas de pierres appelé Agrour
couvrant largement et remarquablement un tombeau au centre et au
milieu de l'ancien cimetière, cet Abadir que les enfants prennent en courant,
en chantant et rigolant à chaque cuisson de l'une de ses grandes pièces,
faisant avec, quelques tournées autour des tombes et de l'Agrour:(
grand amas de pierres couvrant probablement la tombe du plus ancien aïeul et
ancêtre).
L'opération
de la cuisson de toutes les pièces d'Abadir se poursuit ainsi, jusqu'au deux
dernières qu'on laisse cuir, au fur et à mesure que le signal est donné à
certains hommes pour commencer à découper toutes les premières galettes en
petits morceaux, afin d’en faire des rations et des parts; au moment ou d'autres
procèdent au comptage de tous ceux qui sont venus participer grands et petits à
ce rituel, pour savoir le nombre exact des rations. Le pain découpé se pose sur
le sol en petite part que sépare des petits espaces et des petites ouvertures
pour assurer le passage et le déplacement de ceux qui découpent et déposent le
pain sur le sol. Ces parts et ces rations sont posés successivement sous forme
de cercles circonscrits les uns au sein des autres du plus petit au plus grand,
et toujours autour d'Agrour comme point central de tous les
cercles.
Maintenant
que les (Abadir) sont déposés en parts de petits morceaux, on
découpe alors les deux qui restent cuits en dernier, ceux- là feront en réserve
les parts de quelques visiteurs venus à l'improviste, ou quelques invités,
passagers inattendus en dehors du cérémonial. Après un petit moment, la
distribution de ces rations aura bien lieu, l'homme chargé de cette tache
appelle les membres de chaque famille pour recevoir un par un leur part
d'Abadir. Et ainsi de suite jusqu'au dernier individu et la dernière famille.
Puisque, c'est toujours au nom de la famille qu'il faut se référer à chaque
mobilisation collective.
Le soir vers l'après midi, après avoir bien fêté
cette occasion, les habitants retournent chez eux en ramenant, comme autrefois
(Mai 1991)… ce qui restait de leurs parts d'une vingtaine de
roues de pain d'Abadir. Ce pain est très connu chez les Ait Hdiddou, on le
prépare et on l'échange surtout pendant les fêtes de mariage, la famille de
l'époux l'offre par l'intermédiaire des Isnayen: (ministres de
l'époux) à celle de l'épouse.
En effet, qu'une petite entité tribale ou population d'un hameau s'aventure à liquider toutes ces quantités de céréales restantes pour une telle cérémonie, ne s'explique, au moins d'une part, en plus de la sollicitude d'excuses aux ancêtres, la peur de la malédiction de dieu suite à la colère des aïeuls, dont les tombes ne sont pas respectés aux traversées des bergers avec leur troupeaux dans le pâturage…que par une énorme confiance et certitude de ce qu'allait déjà, et à priori être le résultat et la fin d'une nouvelle saison agricole, conçue vers la fin du mois de mai comme réussie et sauvée, puisqu'il ne restait pour atteindre le moment de la moisson et de la nouvelle récolte, que peu de temps. Ce qui laisse entendre que les derniers grains des différentes céréales de l'année en cours et qui tendent vers la fin, doivent céder la place à ceux de la nouvelle année, qu'importe donc une telle aventure, puisque en outre le climat à cette étape de l'année ne fera que s'améliorer jour à prés jour. Pour aller chercher ailleurs d'autres issues de survie, et d'autres alternatives de subsistance par les jeunes et quelques chefs de familles, s'il en faudrait…!
-------------------------------------------
- Référence: Mohamed.Slak: (le cycle agropastoral des traditions des Ait Hdiddou)
(Itinéraire d'un circuit socioculturel):(titre secondaire)
- Etude Ethnographique sur les Ait Hdiddou.
-Texte extrait de la deuxième partie intitulée: (Données socioéconomiques
sur la région d'outtarbat).